On ne naît pas antinucléaire, on le devient

En réaction à la politique pronucléaire du gouvernement, dix députés écologistes s’interrogent : qu’est-ce qui motive l’exécutif à déployer cette vaste opération de propagande atomique : la peur de froisser les grands patrons ? La volonté de masquer son inaction climatique ?

Leur tribune est publiée par Libération le 12 septembre 2023.

La plus grande relance nucléaire de l’histoire (exempte de toute validation démocratique) s’accompagne d’une vaste campagne de désinformation : partout et dans tous les médias, éditorialistes, dirigeant·e·s économiques et politiques sont mobilisé·e·s pour prêcher la bonne parole sur l’atome.

Le nucléaire serait la panacée, un fleuron dont nous devrions être fier·e·s, et surtout, il serait la garantie de notre indépendance énergétique… Tous les incidents antérieurs et accidents majeurs sont minimisés pour occulter les méfaits du nucléaire, au prétexte qu’il s’agirait de LA solution pour lutter contre le changement climatique, sans trop bouleverser nos habitudes. Car, à les entendre réciter leur laïus, il nous serait possible de continuer à rouler dans des SUV toujours plus gros, de prendre un jet de la flotte présidentielle pour faire Paris-Rennes, comme la Première ministre, et de continuer à consommer toujours plus. Aucun problème si nous passons des énergies fossiles à l’électricité nucléaire, vous pouvez dormir tranquille !

Cela semble si simple et confortable de s’arranger avec la réalité. Celle des piscines de déchets nucléaires qui débordent, d’un parc vieillissant bien difficile à rénover, de nouveaux réacteurs qui peinent à sortir de terre, de compétences technologiques défaillantes, du manque d’eau pour refroidir nos centrales. Et tout ça sans parler des risques d’accidents et des menaces sur notre approvisionnement en uranium qui, le contexte géopolitique actuel nous le rappelle, sont encore et toujours présents. Mais là encore le président de la République dispose d’une solution miracle : démanteler notre système de sûreté ! Moins d’étapes de validation, moins d’intermédiaires, moins de rapports publics gênants, moins d’arrêts de réacteurs en cas de problèmes… Malin.

C’est vrai, pourquoi n’y avons-nous pas pensé plus tôt ? Le nucléaire français permettra à coup sûr et à lui seul, de stopper le dérèglement climatique à nos frontières, comme jadis lorsque le nuage de Tchernobyl s’est miraculeusement arrêté à la frontière française. Pas de problème, donc, pour construire de nouvelles centrales sur des territoires inondables ou en bord de cours d’eau, où sa présence se fait déjà de plus en plus rare.

L’opération de propagande atomique

Seul grain de sable dans ce plan bien rodé, les méchants écologistes enfermés dans une idéologie dépassée et rongés par une vieille rancœur contre l’atome. Il faut donc condamner les écologistes de la même manière que les Allemands qui, en ayant fait le choix de sortir du nucléaire à la suite de la catastrophe de Fukushima, sont accusés d’avoir augmenté leur production de charbon. C’est pourtant bien en se passant du nucléaire que l’Allemagne a pu enclencher une stratégie de décarbonation cohérente et globale afin de réduire sa forte production historique de charbon et de lignite (50,5% en 2000 à 31,4% en 2022) tout en tenant un rythme ambitieux en matière de production d’énergies renouvelables, devenue majoritaire dans la production énergétique allemande en 2023. C’est vrai, c’est fâcheux pour le gouvernement français d’être à la traîne sur nos voisins en matière de renouvelables. L’opération de propagande atomique est donc lancée en grande pompe pour tenter de décrédibiliser toutes celles et ceux qui ne partagent pas cette mégalomanie atomique.

Mais derrière cette opération aux discours illusoires et caricaturaux, c’est bien ce gouvernement climato-déserteur qui orchestre une relance irresponsable des énergies fossiles. C’est bien ce gouvernement qui a autorisé la réouverture d’une centrale à charbon et la mise en service d’un port méthanier flottant au large du Havre pour importer du gaz de schistes. C’est aussi sous la présidence d’Emmanuel Macron qu’a été autorisée l’ouverture de la centrale à gaz de Landivisiau pour produire de l’électricité à partir de gaz fossile. Un énième cadeau à Patrick Pouyanné, officier de la Légion d’honneur, à qui nous devons l’augmentation de nos plafonds d’autorisation d’émission de gaz à effet de serre. Et pour quoi faire ? Pour parer à la défaillance de notre parc nucléaire, incapable de produire ce que nous consommons. Ni aujourd’hui, ni hier, ni demain. Le nucléaire n’a jamais été un moyen pour réduire nos émissions et notre dépendance aux énergies fossiles, bien au contraire. Quand on regarde la répartition des émissions de CO2 au niveau mondial, tous les plus gros pays émetteurs de CO2 disposent du nucléaire depuis des années…

Augmenter les énergies renouvelables

Alors que nous vivons une crise climatique sans précédent, tou·tes les scientifiques s’accordent sur un point central : pour changer de trajectoire, nous n’avons que quelques années ! D’ici 2030, il nous faut augmenter massivement la part des énergies renouvelables (dont les technologies et rendements se sont largement améliorés) pour réduire drastiquement notre dépendance aux énergies fossiles. Et faire de la diminution de notre consommation une vraie priorité.

Nous ne pourrons pas continuer à consommer autant. Nous disposons, dans les transports ou le bâtiment, de solutions fiables pour entamer cette bifurcation absolument vitale. Et nous disposons aussi des moyens pour réellement faire de l’essor des énergies renouvelables une réalité. Mais les plans de sobriété injuste et subie du gouvernement, ainsi que sa loi d’accélération des énergies renouvelables (bien trop timide, pour de nombreux·ses observateurs·trices et expert·e·s) ne sont, à l’évidence, pas à la hauteur.

Raviver les solutions des années 60 inadaptées à notre temps, parier sur une hypothétique solution technologique pour ne pas entraver le sacro-saint dogme de la croissance… Est-ce ainsi par paresse intellectuelle que le gouvernement déploie cette vaste opération de propagande éhontée autour du nucléaire ? Ou par peur de froisser les grands patrons ? Ou peut-être plus simplement pour masquer son inaction climatique ? En tout cas, la tribune d’Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, avec sa lourde charge pronucléaire contre les écologistes est plus qu’inquiétante. Elle contribue de la sorte à foncer plus vite encore dans le mur énergétique et climatique et renforce une culture très peu favorable aux énergies renouvelables dans notre pays.

Elle s’aligne ainsi sur les positions de l’extrême droite, à l’instar du gouvernement italien menée par Giorgia Meloni et Matteo Salvini, qui souhaite aussi relancer coûte que coûte la production nucléaire, alors que les Italiens s’étaient prononcés contre le nucléaire lors d’un référendum en 1987. Est-ce bien responsable de prendre pour exemple des gouvernements d’extrême droite ?

Plus une seconde à perdre

Les écologistes ne sont pas contre le nucléaire par dogmatisme. On ne naît pas antinucléaire. On le devient, en observant les faits. D’ici 2030, aucune tonne de CO2 ne sera évitée grâce au nucléaire. Les nouvelles centrales (si elles voient le jour) ne seront opérationnelles que d’ici 2037, dans les scénarios les plus optimistes. Pro ou antinucléaires, les énergies renouvelables doivent être notre priorité quoi qu’il arrive. Le président de RTE l’a d’ailleurs encore récemment rappelé : «Il n’y a pas d’autres solutions dans la prochaine décennie que de faire des énergies renouvelables.» Il n’y a donc plus une seconde à perdre. Le gouvernement doit se mettre réellement à l’action et agir concrètement aujourd’hui, plutôt que de passer son temps à s’en prendre aux écologistes. Le nucléaire ne nous sauvera pas. Seules une sobriété juste et les énergies renouvelables nous offrent une porte de sortie honorable.

Signataires : Julie Laernoes, députée de Loire-Atlantique, Cyrielle Chatelain, députée de l’Isère, présidente du groupe Écologiste, Charles Fournier, député d’Indre-et-Loire, Sandrine Rousseau, députée de Paris, Sandra Regol, députée du Bas-Rhin, Jean-Claude Raux, député de Loire-Atlantique, Lisa Belluco, députée de la Vienne, Marie Pochon, députée de la Drôme, Eva Sas, députée de Paris, Sébastien Peytavie, député de Dordogne.

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