RTE (Réseau de transport d’électricité) est la société qui gère le réseau électrique à très haute tension (THT) : les lignes de 63 000 volts, 225 000 volts et 400 000 volts. Elle a réussi à faire disparaître de nombreux espaces boisés classés des plans locaux d’urbanisme en faisant croire aux collectivités qu’elles étaient obligées de le faire.

Qu’est-ce qu’un plan local d’urbanisme ?

C‘est un règlement communal (PLU) ou intercommunal (PLUi) qui régit l’occupation des sols. Par exemple, il classe les terrains selon qu’il s’agit de terres agricoles, d’espaces naturels, de zones constructibles.

Les servitudes d’utilité publique sont reportées dans les plans locaux d’urbanisme : les collectivités locales sont tenues de le faire (article L151-43 du code de l’urbanisme).

Les plans locaux d’urbanisme font l’objet d’une enquête publique. Ils peuvent être modifiés pour tenir compte de ce qui a été dit lors de l’enquête à condition de ne pas modifier l’économie générale du document. Ces modifications doivent être justifiées.

Qu’est-ce qu’un espace boisé classé ?

Les collectivités locales peuvent classer au plan local d’urbanisme les espaces boisés qu’elles souhaitent protéger.

Le classement des bois à protéger dans les plan locaux d’urbanisme et l’effet de ce classement sont prévus par les articles L113-1 et L113-2 du code de l’urbanisme : « le classement interdit tout changement d’affectation ou tout mode d’occupation du sol de nature à compromettre la conservation, la protection ou la création des boisements. »

Ce que le PLU a fait, le PLU peut le défaire : les espaces boisés classés peuvent faire l’objet d’une suppression totale ou partielle mais à condition de passer par la procédure complexe de révision du PLU (article L153-31 du code de l’urbanisme).

Quelles servitudes pour protéger les lignes THT ?

Le code de l’énergie dispose que « des servitudes d’utilité publique concernant l’utilisation du sol et l’exécution de travaux soumis au permis de construire, peuvent être instituées par l’autorité administrative au voisinage d’une ligne électrique aérienne de tension supérieure ou égale à 130 kilovolts. » (article L323-10 du code de l’énergie).

En clair, ces servitudes permettent de faire couper des arbres ou des branches d’arbres et elles peuvent s’appliquer sous la ligne et dans une bande qui est de 10 mètres de large de part et d’autre de cet aplomb pour les lignes de 225 kV et de 15 mètres pour les lignes de 400 kV (article R323-20 du code de l’énergie).

La distance entre les câbles extérieurs d’une ligne à très haute tension peut atteindre près de 20 mètres pour une ligne de 225 kV. Dans ce cas, la largeur de la servitude peut être de 40 mètres (10+20+10).

La servitude doit avoir été instituée, sinon elle n’existe pas.

Cette servitude empêche-t-elle forcément la présence d’espaces boisés classés sous les lignes ou à proximité ? Nous ne le pensons pas, dès lors que les boisements à protéger ne s’élèvent pas à hauteur des câbles. Il arrive que des bâtiments soient construits sous les lignes THT.

RTE demande beaucoup plus

RTE considère qu’il ne doit pas y avoir d’espaces boisés classés sous ses lignes ni à proximité. À proximité et un peu plus.

RTE demande aux collectivités qui élaborent un plan local d’urbanisme communal (PLU) ou intercommunal (PLUi) que soient retranchés des espaces boisés classés, des bandes de 30 m de large de part et d’autre de l’axe des lignes 63 000 volts ; 40 m de large de part et d’autre de l’axe des lignes 225 000 volts ; 50 m de large de part et d’autre de l’axe des lignes 400 000 volts.

Autant dire que la zone de suppression des espaces boisés classés peut atteindre 100 mètres (40+20+40) sur le tracé d’une ligne de 225 kV.

Ces demandes de RTE vont très au-delà de ce que permet le code de l’énergie.

Les conséquences

Supprimer les espaces boisés classés sur le tracé des lignes électriques à très haute tension n’entraîne pas nécessairement leur défrichement mais elle le permet. Alors même qu’il s’agit de boisements remarquables que les collectivités ont voulu protéger.

Comment RTE est arrivée à ses fins ?

Pour arriver à ses fins, RTE affirme que les servitudes « ne sont pas compatibles avec un Espace Boisé Classé et que dans le cas d’une présence de ligne, un déclassement du bois s’impose ». Les communes ont obligation de reporter les servitudes dans les PLU.

Pour aussitôt demander que le déclassement des bois s’applique aux lignes de 63 kV (ce que ne prévoit pas le code de l’énergie) et dans des largeurs qui dépassent largement ce qu’autorise le code de l’énergie, sans dire en quoi il serait nécessaire ou même utile.

Les décisions instaurant les servitudes ne sont pas jointes : RTE se borne à fournir le plan de ses lignes.

Extrait d’un courrier de RTE joint au dossier du PLUi de Bièvre Isère Communauté

Non seulement les servitudes ne sont pas jointes mais en plus la formulation employée est ambigüe. RTE ne dit pas formellement que l’intégralité de sa demande concerne des servitudes mais elle le sous-entend. Des collectivités, croyant donc y être obligées, ont accepté ce qu’elle demandait.

C’est ainsi que le 14 décembre 2017, le conseil municipal de Moirans a décidé un « ajustement des espaces boisés classés au regard des servitudes autour (…) des lignes haute tension ».

Le 26 novembre 2019, le conseil de la communauté de communes de Bièvre Isère Communauté a décidé « la suppression de certains espaces boisés classés (…) de part et d’autre (…) de l’axe d’implantation d’ouvrages de servitudes des lignes électriques gérées par RTE ».

Le 16 décembre 2019, le conseil de la communauté de communes de Bièvre Est a décidé ceci : « les avis des PPA/PPC, communes et du public ont révélé des erreurs ou oublis dans la prise en compte de certaines prescriptions, ainsi certaines ont fait l’objet de corrections ou compléments : Prise en compte de la servitude I4 (ligne haute tension) pour ajustement des EBC ».

Pour avoir demandé et obtenu la suppression de nombreux espaces boisés classés, RTE mérite incontestablement le prix Attila.

article en PDF : prix Attila à RTE